vendredi 30 novembre 2007

Publier: le parcours du combattant

Comme on peut s'en douter, il n'est pas simple de trouver un éditeur. Un parcours n'est pas l'autre, mais voici le mien, qui donnera une petite idée de l'attitude des éditeurs envers des auteurs inconnus. Bien sûr, face à la masse de manuscrits qu'ils reçoivent, leur travail n'est pas facile, et les choix, forcément subjectifs, sont en partie guidés par des impératifs de rentabilité de plus en plus immédiate. Ce qui, en général, n'empêche pas la qualité.
Après quelques envois infructueux et des lettres de refus en général sympathiques, je décidai d'envoyer le manuscrit à un de nos grands auteurs belges, Pierre Mertens (entre autres, Prix Médicis pour "Les Eblouissements", un superbe roman sur le poète allemand
Gottfried Benn). Je me disais que je risquais tout au plus de perdre 200 grammes de papier si Mr Mertens décidait illico de confier le manuscrit à la dure loi de la pesanteur, direction la poubelle qui ne devait pas être très éloignée de sa chaise de bureau. Il faut dire que je n'en étais pas à mon coup d'essai avec lui. Quelques années auparavant, j'avais agi de même avec la traduction du roman "Nappe de Feu" de l'auteur allemand Max von der Grün. Je ne faisais donc que récidiver. Et je dois ici rendre hommage à l'immense disponibilité et à la générosité de cet homme qui, malgré ses activités de professeur d'université, d'écrivain, critique littéraire, et j'en passe très certainement, avait pris le temps de lire la traduction d'un inconnu, et même de lui répondre en suggérant ça et là des modifications. Et quand des années plus tard, je lui envoyais le roman dont il est question ici, Pierre Mertens avait à nouveau accepté de le lire et il m'avait répondu par ces mots : "Je suis assez emballé par votre roman". Sortant du stylo d'un critique littéraire dont les lecteurs du Soir ont pu vérifier la probité, la rigueur autant que la générosité pendant les nombreuses années de son Bloc-Notes littéraire du mercredi, ces mots m'ont soutenu tout au long de ma longue recherche d'un éditeur. Ils étaient d'ailleurs sur le point de devenir le baume qui allait adoucir la déception à un moment où pointait la résignation.
Puis, sur le conseil de mon ami Jean-Jacques Didier, enseignant et écrivain lui aussi, j'ai envoyé le texte à l'Académie Royale de Langue et de Littérature de la Communauté Française de Belgique. Celle-ci, par le biais du Fonds national de la littérature, octroya une aide à l'édition.
Malgré cela, la recherche ne fut pas aisée, et l'attitude des "grands éditeurs" me parut plutôt paradoxale. Alors que les grands éditeurs auraient les moyens de donner leur chance à des (premiers) romans dont le sujet et le style ne garantissent pas le succès commercial, il semble qu'ils délèguent les risques à des éditeurs de taille plus réduite. Je n'éprouve aucune rancoeur, le monde est ainsi fait, l'édition n'échappe pas à la loi du Marché. J'en veux pour preuve une très belle lettre reçue d'un des quatres grands éditeurs parisiens, et que je qualifierais de "lettre de refus enthousiaste". Voici:

Monsieur,
Les Tambours de Louis, que vous aviez eu l'obligeance de m'envoyer avant l'été, a été lu, comme vous pouvez vous l'imaginer, avec un intérêt et une admiration rares tant pour le sujet que pour le style qui épouse le rythme musical dans ce ressassement, ce jaillissement, ce flamboiement, ces reprises incessantes, cette manière de fouailler, d'être au corps à corps avec la matière musicale, qui donne à votre roman une puissance et une vigueur singulières. Malheureusement, et je suis au regret de ce malheureusement, après multiples discussions au sein de notre comité de lecture, la décision n'a pas été positive pour des raisons éditoriales qu'avive chaque rentrée littéraire, quand nous voyons -- et c'est encore le cas cette année - des romans à la sombre beauté laissés pour compte parce que trop amples, touffus et exigeants. Vous auriez, je crois, intérêt à contacter des éditeurs comme...


Instructif, non?

Et nous voici arrivé enfin au dernier épisode : la publication du roman par Les Editions Namuroises, diffusées par les Presses Universitaires de Namur (PUN). Ce dénouement heureux est une illustration de plus d'un phénomène décrit dans un texte d'André Schiffrin (directeur de la maison d'édition à but non lucratif The New Press, New York). Ce texte s'intitule "Quand de 'petits' éditeurs échappent à l'emprise des conglomérats" et est paru dans Le Monde Diplomatique d'octobre 2007, disponible sur Internet. Le Monde Diplomatique est probablement l'un des derniers espaces de liberté dans le monde de plus en plus verrouillé des médias.
Je termine en exprimant ma reconnaissance au directeur des PUN, Mr René Robaye, qui a pris la décision de publier le texte. Je tiens à le remercier pour son amabilité, sa grande disponibilité et la totale liberté qu'il m'a accordée dans le traitement final du texte.

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