jeudi 16 juillet 2015

Strange fruit, chanté par Billie Holiday devient un chant créole: "In fruit étrange" et... cherche chanteuse


Le temps est au blues et aux fruits étranges de l'austérité. Est-ce un hasard si ma dernière chronique musicale sur Blog à part, intitulée Le blues, le capitalisme, et Alan Lomax, le passeur, était consacrée au blues?

La Grèce vient de capituler face aux diktats de l'Allemagne, et j'ai le blues. Quant à mon chronique sur le blues du Mississippi, né dans les champs de canne du Sud des Etats-Unis, il a voyagé, allégé et adapté pour d'autres cieux et d'autres champs de canne, ceux de l'Île Maurice et de la Réunion. L'article a été publié dans le magazine mauricien Week-End Scope, ainsi que sur le site du quotidien Le Mauricien. Il est également paru, grâce à Nathalie Valentine Legros, sur le site réunionnais 7 lames la mer. J'y évoque la chanson Strange fruit, chef-d’œuvre créé par Billie Holiday en 1939. Si j'en reparle ici, ce n'est pas seulement parce que j'ai le blues, mais parce que la puissance de cette chanson est telle que sa simple évocation dans l'article libère, aujourd'hui encore, des énergies. Il y a d'abord un événement qu'on pourrait qualifier d'historique, à l'échelle du cheminement, déjà long, de cette chanson : il existe désormais une version en créole de Strange fruit ! Elle vient en effet d'être traduite par Jean-Claude Legros et s'intitule, évidemment In fruit étrange. Il ne manque plus que la chanteuse...

Par ailleurs, Nathalie Valentine Legros vient d'écrire un bel article sur l'histoire de cette chanson. J'y apprends l'existence d'étranges et douloureuses connexions: entre Abel Meeropol, le compositeur de Strange fruit et les époux Rosenberg, assassinés par l'in-Justice américaine. Extrait de l'article (disponible ci-dessous) : "Le 19 juin 1953, les époux Rosenberg, Ethel et Julius, condamnés à mort pour espionnage, sont exécutés sur la chaise électrique, dans la... prison de Sing Sing. Ils laissent derrière eux, deux petits garçons orphelins : Robert et Michaël, 6 et 10 ans. Abel et Anne Meeropol les recueillent et l’adoption est officialisée en 1957."
Est-ce déplacé de penser à cette chanson qui évoque les lynchages dans le Sud des USA, à propos des diktats allemands et européens qui acculent la Grèce et les Grecs à une insoutenable austérité, voire à la misère pour beaucoup, sans espoir d'embellie avant longtemps, alors que le peuple (le peuple, pas les anciens gouvernements ni les banques ni... Goldman-Sachs) grec n'est en rien responsable de cette situation. Bien sûr, personne n'a encore été exécuté ou lynché en Europe. Mais comment appeler les nombreux suicidés en Grèce, et les malades qui meurent, faute de pouvoir se soigner correctement ?


Des fruits étranges et douloureux poussent un peu partout sur notre planète ces jours-ci...

Voici les liens, d'abord vers l’article original, puis vers l'article allégé et adapté, et enfin vers l'article de Nathalie Valentine Legros, dans lequel se trouve aussi la traduction en créole de la chanson, ainsi que les vidéos de Billie Holiday, et d'autres versions de la chanson.

Et l'appel est lancé : chanson cherche chanteuse ! In fruit étrange cherche chanteuse réunionnaise ou mauricienne pour continuer son voyage !

http://www.blog-a-part.eu/le-blues-le-capitalisme-et-alan-lomax-le-passeur/

http://www.lemauricien.com/article/lucien-putz-celui-qui-sauva-ti-frer-l-oubli-sega-l-ile-maurice-et-blues-du-mississippi-les-d

http://7lameslamer.net/l-etrange-histoire-d-une-chanson-1441.html

Je termine par un extrait de mon roman Les tambours de Louis, où j'évoque la grande chanteuse

(…) et la grande Billie, emprisonnée, interdite, relâchée, réinculpée sur son lit de mort, élégante, éblouissante sous les projecteurs, chantant du haut de la scène pour ceux qui tiennent le haut du pavé, Billie qu’on n’hésitera pas à renvoyer dans le caniveau pour abus de plaisirs, alors que le plaisir qu’elle distille est autrement subversif – son chant n’aurait-il pas été la véritable raison de son internement, la drogue n’en ayant été que le prétexte, l’alibi légal : cette façon de tordre, de s’accaparer la langue officielle des États-Unis, de briser les mots de l’Amérique puritaine, de les habiller des atours de l’amour, ou plutôt de les déshabiller, de les lécher, de les mordre, de rappeler aussi la tragédie, les tragédies, vieille nounou de deux cents ans à la voix presque éteinte qui n’en finit pas de raconter l’ancienne douleur, cette façon de rire aussi, de tourner en dérision, de casser les coquilles des mots et des notes pour en évacuer les vulgaires certitudes, de distiller ce poison sur les ondes, sur les plus grandes scènes, le danger réel n’était-il pas là ? (p. 116)

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