samedi 4 décembre 2010

Après les représentations de "Syncopes" à Rossignol

Écrire un livre est une aventure solitaire. Le voir publié rompt, en apparence et pendant un temps, cette solitude. Le voir mis en scène, par contre, fait entrer son auteur de plein pied dans une aventure humaine et artistique collective, même s'il n'y participe pas directement. Inutile de dire que l'aventure est riche et féconde. Si le spectacle est mauvais, il se dit qu'au moins, vivre l'élaboration d'un spectacle de l'intérieur aura été une expérience palpitante. S'il est simplement agréable et disons, sympathique, il sera content aussi. Que dire alors si le spectacle est bon ? Bon, c'est-à-dire qu'il fonctionne, que, tout en racontant une histoire, il fait naître une tension, une émotion, et qu'il transmet cette tension, cette émotion, au public. Et bien dans ce cas, l'auteur sera beaucoup plus que content. C'est ce qui se passe avec le spectacle "Syncopes". C'est ce que j'ai ressenti après les représentations au Centre Culturel de Rossignol : ce spectacle est un bon spectacle. Mais l'auteur, s'il est bien placé pour le penser, est cependant mal placé pour le dire, il est mal placé pour dire que ces comédiens ont créé un spectacle qui tient la route - mais là c'est un minimum, il fait plus que la tenir, il l'occupe, il la maîtrise, et il devrait d'ailleurs la prendre, cette route, en Belgique, en France. Ils n'ont pas à rougir face à beaucoup de comédiens faisant partie du gotha des compagnies belges. Et si l'auteur était le seul à le dire, il ne le dirait pas, mais, ouvrant ses antennes après le spectacle, il a capté les réactions, positives, voire enthousiastes, de la plupart des spectateurs présents. L'auteur est donc heureux qu'un tiers, Jean-Jacques Didier, connaisseur, professeur de littérature française, poète, écrivain, ait consigné son enthousisame dans un article, reproduit ci-dessous. Et je le remercie. TVLux a consacré une séquence au spectacle, visible sur leur site: www.tvlux.be/joomla/index.php/component/content/article/188/6284 Après avoir cliqué sur le lien, il vous sera peut-être demandé d'installer un plug-in. C'est rapide et sans douleur.

Le spectacle "Syncope": l'avis de Jean-Jacques Didier

Loué lors de sa sortie par des spécialistes du roman (Pierre Mertens, Vincent Engel) autant que par ceux du jazz (Philippe Baron, Jacques Chesnel, Laure Albernhe, Paul Benkimoun, critique littéraire et musical du Monde), le roman Les tambours de Louis, de Lucien Putz, appelaient une mise en voix et en musique, tant son écriture est musicale. C’est chose faite, et remarquablement faite, grâce à la troupe de musiciens et d’acteurs du Grand Asile (basée à Bellefontaine, commune de Tintigny, province du Luxembourg).

Sur scène, deux comédiens, deux comédiennes et deux musiciens disent, miment, jouent, dansent l’épopée qu’a été la vie de Louis Mellyne. Celui-ci, accordéoniste puis batteur de jazz hors pair, a aussi, à l’égal des grands du jazz contemporain, brûlé la vie par les deux bouts : éternel rebelle à tous les conformismes, il a tâté de la castagne dans la guerre de Corée, battu le fer dans les aciéries de Lorraine, essuyé des bagarres dans les bals où il jouait (« Louis, arrête de jouer comme les Nègres ! »), avalé les routes d’Athus à Paris et retour pour suivre les cours de Kenny Clarke qui aurait aimé l’emmener à New York.

Syncopes rend fidèlement compte de la dureté des temps sur un ton parfois militant, parfois par une expression plus oblique mais tout aussi convaincante. Aïcha, dont on aimerait connaître le nom de famille pour l’inscrire lumineux au faîte de cette production, mène son monde avec finesse et vigueur, avec les moyens du spectacle total. Ceux-ci sont pourtant de matériau modeste : cartons, corde à linge, écran pour des ombres chinoises, et quelques oripeaux, mais quel peps insufflé ! Et quelle riche idée de faire virevolter les rôles d’un comédien à l’autre, chacun devenant tout à tour le narrateur, la mère tyrannique, le frère aîné, tel soldat, tel employeur… Quant aux musiciens, ils incarnent par des intermèdes parfaitement intégrés la part indicible de cette passion qui aura frappé de plein fouet la vie de Louis Mellyne : la syncope.

Il faut donc citer tout le monde : Déborah Barbieri (comédienne), David Claeyssens (comédien), Jean-Baptiste Claisse (batterie, création sonore), Sébastien Cugnon (accordéon, guitare, création sonore), Hélène De Wilde (comédienne), Boris Maxant (comédien)Et dans les coulisses Jean-François Catry (création lumière), Isabelle Pêcheur (création vidéo), Eléonore Gaillet (costumes et scénographie) et Aïcha (mise en scène).

Jean-Jacques DIDIER
Chargé de cours
Institut libre Marie Haps, Bruxelles